In Memoriam: Philippe
Gignoux (1931–2023)
Florence
Jullien
CNRS, Centre de recherche sur le monde
iranien
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James E. Walters
Beth Mardutho: The Syriac Institute
2023
Volume 26.2
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Florence Jullien
In Memoriam: Philippe
Gignoux (1931–2023)
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Hugoye: Journal of Syriac Studies
Beth Mardutho: The Syriac Institute, 2023
vol 26
issue 2
pp 553-564
Hugoye: Journal of Syriac Studies is an electronic journal dedicated to the study
of the Syriac tradition, published semi-annually (in January and July) by Beth
Mardutho: The Syriac Institute. Published since 1998, Hugoye seeks to offer the
best scholarship available in the field of Syriac studies.
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In Memoriam: Philippe
Gignoux (1931–2023)
Les travaux Philippe Gignoux ont profondément marqué la
recherche française et internationale sur le Moyen-Orient tardo-antique durant plus
de soixante ans. Il eut cette aptitude peu commune d’attirer les pas des
syriacisants hors des sentiers classiques vers un Orient plus lointain, celui du
monde iranien.
Profondément cultivé, il fut de ces découvreurs qui forcent
l’admiration par sa recherche inlassable de nouvelles sources littéraires et
épigraphiques mais aussi de matériaux archéologiques inédits, ayant à cœur de mettre
à la disposition du public scientifique et averti ses lectures du pehlevi et du
syriaque. Cet apport exceptionnel avait pour ancrage une double connaissance : celle
des langues et celle des écrits, dans une double discipline : les études sémitiques
et iraniennes. Il n’est qu’à lire l’impressionnante table des matières des Florilèges qui lui avaient été offerts en 2011 par ses
collègues et amis pour son 80e anniversaire pour saisir
combien sa contribution aux études syriaques et iraniennes est immense. L’ouvrage
reflète en miroir tous les domaines de compétence qui furent les siens, et
l’incidence considérable et originale de ses recherches sur de multiples terrains de
la période tardo-antique : épigraphie, sigillographie, numismatique, histoire
sassanide, histoire des idées et des religions de l’Iran, philosophie, pharmacopée
et médecine, littérature hagiographique et martyro-logique, eschatologie,
cosmogonie, anthroponomastique, philologie… Ce mélomane qui rêvait d’être chef
d’orchestre aura mis en musique une symphonie de disciplines scientifiques en un
éclectisme savant ordonné à une vive curiosité d’esprit. Dans le chapitre dédié à la
contribution de Philippe Gignoux aux études syriaques, Sebastian Brock a souligné
avec force la dette incommensurable des syriacisants envers ce chercheur,
spécialement sur les sentiers de la littérature, de l’histoire des chrétiens sous
les Sassanides et de l’épigraphie : « Gignoux’s contributions in the field of Syriac
studies is, not only the impressively wide range of Syriac topics that have been
covered by him, but also the innovatory and suggestive character of many of his
contributions, opening up new or little-explored areas of investigation. » Et de
rappeler l’ouverture décisive apportée par ses travaux : « Furthermore, he has
provided an important reminder to scholars of Syriac literature, who have always
tended to read this literature with their eyes turned, as it were, westwards,
towards the Greek-speaking world; (…) at the same time it is equally important, as
Gignoux has demonstrated so fruitfully, also to remember to direct one’s eyes
eastwards, towards the Iranian world of the Sasanian Empire. For this reminder
Syriacists will indeed be grateful » Brock, S., « The contributions of Philippe Gignoux to
Syriac Studies », dans R. Gyselen, C. Jullien (éds.), « Maître pour l’éternité ». Florilège Ph. Gignoux pour son 80
e
anniversaire,
(Studia Iranica. Cahier 43), Paris : AAEI,
diffusion Peeters Publishers, 2011, p. 107..
Philippe Gignoux est né à Solaize près de Lyon le 1er mars 1931. Après des études universitaires, il
choisit d’entrer en 1953 comme simple religieux dans la Fraternité des petits frères
de Jésus du Père de Foucauld : il est envoyé au Sahara puis dans le Kurdistan
irakien. Pendant 3 ans, il apprend le kurde au contact des populations, et s’initie
au syriaque par lui-même, avant de se réorienter. Au début des années 1960, il
entreprend un double cursus d’études en iranologie et en langues sémitiques et
civilisations orientales. Il suit alors les enseignements d’Antoine Guillaumont,
d’André Dupont-Sommer, d’Émile Benveniste et de Jean de Menasce à l’École Pratique
des Hautes Études (IVe et Ve
sections), et approfondit le syriaque, l’araméen ainsi que les langues de l’ancien
et du moyen-iranien. Parallèlement, il s’inscrit aux cours du Père Graffin à
l’Institut catholique de Paris, et se forme auprès de Gérard Troupeau en arabe et de
Gilbert Larzard en persan à l’École nationale supérieure des langues orientales
vivantes (aujourd’hui Institut national des langues et civilisations orientales –
INaLCO) où il obtient un diplôme. Attaché puis chargé de recherche au CNRS en 1964,
il est élu Maître de conférences à l’EPHE en 1968 avant de succéder à Jean de
Menasce deux ans plus tard à la chaire « Religions de l’Iran ancien » de la section
des sciences religieuses où il enseigna jusqu’en l’an 2000. Il fut rattaché au
Centre d’étude sur les religions du Livre (CERL, UMR 8584) du CNRS fondé en 1970,
devenu en 2001 le Laboratoire d’étude sur les monothéismes (LEM), et au Laboratoire
Monde iranien (UMR 7528). Il participa durant plusieurs années aux instances du
Comité national du CNRS.
Dans un souci de développement des études iraniennes dont il
favorisa activement le rayonnement, il participa à la création de la revue
internationale Studia iranica. Il en fut le premier
directeur, de 1972 à 1999, et de la collection des Cahiers de
Studia iranica à partir de 1982, qu’il présida avec Rika
Gyselen. Membre fondateur de l’Association pour l’Avancement des Études iraniennes
et de la Societas Iranologica Europaea (vice-président puis
président entre 1983 et 1991), il fut correspondant de l’Académie des Inscriptions
et Belles-Lettres (Paris) et membre de plusieurs sociétés savantes en France et en
Europe. Un livre d’hommage lui avait été offert en 1995 (éd. R. Gyselen, Au carrefour des religions. Mélanges offerts à Philippe
Gignoux, [Res Orientales VII],
Bures-sur-Yvette).
Les premiers travaux de Philippe Gignoux furent consacrés au
syriaque, avec une thèse de doctorat sur les Homélies de
Narsaï sur la Création entreprise sous la direction
d’Antoine Guillaumont. Six articles parurent sur ce sujet dans l’Orient syrien entre 1962 et 1967, dont trois dédiés aux doctrines
eschatologiques dans cette œuvre – une thématique sur laquelle il reviendra souvent
au cours de sa carrière –, avant l’édition du texte commenté dans la Patrologia orientalis Gignoux, Ph., Homélies de Narsaï sur la
Création, Edition critique du texte syriaque, Introduction et
traduction française (PO 34/3-4), Turnhout-Paris,
1968 ; « Homélie de Narsaï sur la création d’Adam et d’Eve et sur la
transgression du commandement », L’Orient syrien
VII/3, 1962, p. 307-336 ; « Homélie de Narsaï sur la création du monde »,
L’Orient syrien VII/4, 1962, p. 477-506 ;
« Homélie de Narsaï sur le mot “Au commencement” et sur l’essence divine »,
L’Orient syrien VIII/2, 1963, p. 227-250 ; « Les
doctrines eschatologiques de Narsaï », L’Orient
syrien XI/3, 1966, p. 321-352 ; « Les doctrines eschatologiques de
Narsaï (suite) », L’Orient syrien XI/4, 1966,
p. 461-488 ; « Les doctrines eschatologiques de Narsaï (suite et fin) », L’Orient syrien XII/1, 1967, p. 23-54..
Son approche diffère sensiblement de celle d’Alphonse Mingana qui avait édité les
six memre en 1905 : outre l’édition intégrale du texte sur
base de nouveaux manuscrits, il y conduit un travail difficile de classification
méthodique de l’œuvre, d’explicitation de termes techniques et d’interprétation
doctrinale, salué par la critique occidentale. Son orientation vers l’épigraphie
moyen-perse (inscriptions rupestres et sur objets archéologiques, papyrologie,
etc.), notamment sous l’influence du Père Jean de Menasce, ne l’a jamais éloigné de
cet intérêt premier pour le syriaque, que son empathie pour le sort des chrétiens
d’Orient contribuait à raviver ; lui-même chrétien engagé que l’actualité
internationale ne laissait pas indifférent Il dédie l’un de ses articles « aux martyrs des îles
Solovki (1920-1940) », Gignoux, Ph., « Réflexions sur l’hagiographie et le
multilinguisme des chrétiens syro-orientaux », dans F. Jullien, M.-J. Pierre
(éds.), Les Monachismes d’Orient. Images – Échanges –
Influences. Hommage à Antoine Guillaumont. Actes du Colloque du
Cinquantenaire de la chaire des Christianismes orientaux à l’EPHE
SR, (Bibliothèque de l’École des Hautes Études.
Sciences religieuses 148. Histoire et
Prosopographie 6), Turnhout : Brepols, 2011, p.
123-132., il y était toujours particulièrement sensible. En défricheur
curieux, il s’intéressa à des auteurs jusqu’alors peu étudiés comme Aḥudemmeh Gignoux, Ph.,
« Anatomie et Physiologie humaine chez un auteur syriaque, Aḥūhdemmeh », Comptes Rendus de l’Académie des Inscriptions &
Belles-Lettres, Paris, 1998 (paru 1999), p. 231-242. ou
Giwargis Warda qu’il contribua à faire connaître, notamment dans ses réflexions sur
l’homme microcosme du monde – théorie du macro-microcosme qui lui était chère et sur
laquelle il dirigea un ouvrage collectif à la fin de sa carrière d’enseignant à
l’EPHE
Gignoux, Ph., « Un poème inédit sur l’homme-microcosme de Guiwarguis
Wardā (13
ème siècle) », dans Ph.
Gignoux (éd.), Ressembler au monde. Nouveaux documents sur
la théorie du macro-microcosme dans l’Antiquité orientale,
Turnhout : Brepols, 1999, p. 95-189. .
Philippe Gignoux maîtrisait en profondeur à la fois les iranica et les syriaca, capable de
croiser ces champs d’étude pour en faire jaillir la lumière. L’une des valeurs
insignes de ses contributions tient précisément à cette double compétence
linguistique qui lui permettait de repréciser voire de définir nombre de données
propres au mazdéisme et à l’histoire des chrétiens en Perse. À un moment où les
historiens du christianisme en milieu zoroastrien privilégiaient plutôt l’éclairage
des sources historiographiques grecques en amont, et en aval arabo-persanes, plus
tardives et moins fiables, ses nombreuses et remarquables études en matière
d’hagiographie ont définitivement prouvé que les sources syriaques constituent un
conservatoire pour les fonctions religieuses mazdéennes jusqu’alors mal connues,
l’onomastique ou la toponymie moyen-perses Gignoux, Ph., « Titres et fonctions religieuses
sasanides d’après les sources syriaques hagiographiques », Acta Antiqua Academiae Scientiarum Hungaricae XXVIII, 1980, p.
191-203. ; ses découvertes ont enrichi notre compréhension de
l’administration civile et religieuse sassanide grâce à l’identification inlassable
d’un vocabulaire technique et précis. De même, le thème des contacts entre chrétiens
et mazdéens fut l’un des fils conducteurs de nombreux travaux, en philologie et en
onomastique Gignoux, Ph., « On Syriac proper names of
Iranian origin », The Harp, XVIII, 2005,
p. 351-356 ; « L’identité zoroastrienne et le problème de la
conversion », J.-Ch. Attias (ed.), De la
conversion
, Centre d’Études des Religions du Livre, le
Cerf, Paris, 1997, p. 13-36 ; Jullien, C., Gignoux, Ph.,
« L’onomastique iranienne dans les sources syriaques. Quand les
chrétiens changent de nom (IV
è-VIIè s.) », Actes du 9è Symposium Syriacum (Kaslik, septembre 2004). Parole de l’Orient 31, 2006, p. 279-294.
mais aussi en histoire et en hagiographie Gignoux, Ph., « Sur quelques relations
entre chrétiens et mazdéens d’après des sources syriaques », Studia Iranica 28, 1999, p. 83-94 ; « Comment le
polémiste mazdéen du Škand Gumānīg Vīzār a-t-il
utilisé les citations du Nouveau Testament ? », dans C. Jullien (éd.), Controverses des chrétiens dans l’Iran sassanide,
(Studia Iranica. Cahier 36), Paris, 2008,
p. 59-67 ; « À la frontière du syriaque et de l’iranien : Quelques
confluences tirées des Actes des martyrs perses », Semitica et Classica 3, 2010, p. 189-193. : sa
typologie des miracles fournit d’indispensables clefs de lecture en replaçant les
textes syriaques dans leur contexte religieux zoroastrien Gignoux, Ph., « Une typologie des
miracles des saints et martyrs perses dans l’Iran sassanide », dans D. Aigle
(éd.), Miracle et Karāma. Hagiographies médiévales
comparées 2, (Bibliothèque de l’École des hautes
Études SR 109), Turnhout : Brepols, 2000, p. 499-523..
Ses analyses ont aussi permis de mieux connaître certains grands personnages du
zoroastrisme qui firent l’histoire des chrétiens dans l’empire sassanide Gignoux, Ph.,
« Éléments de prosopographie de quelques Mōbads sasanides », Journal Asiatique 270, 1982, p. 257-269. Cf. Gignoux,
Ph., « L’apport scientifique des chrétiens syriaques à l’Iran sassanide »,
Journal Asiatique 289/2, 2001 (paru en 2002), p.
217-236.. Un volume d’opera minora réunit
ses principaux articles sur la question des relations mazdéo-chrétiennes (éds. M. de
Chiara et E. G. Raffaelli, Mazdéens et chrétiens en terre d’Iran à
l’époque sassanide. Opera Minora de Ph. Gignoux, Rome, ISMEO, 2014). Ses
études en onomastique iranienne ouvrirent à un entendement renouvelé de la
documentation syriaque dont il sut tirer la substantifique moëlle et révéler la
signification. Il y consacra une thèse d’État ès lettres et sciences humaines
soutenue à l’université de la Sorbonne nouvelle en 1984, qui porta sur
l’anthroponymie sassanide à partir des sources épigraphiques. L’immense chantier que
fut, entre 2004 et 2009, la mise en œuvre du dictionnaire prosopographique pour
l’Iranisches Personennamenbuch (une collection de
l’Österreichischen Akademie der Wissenschaften de Vienne en Autriche co-dirigée par
Manfred Mayrhofer et Rüdiger Schmitt) a permis de toucher du doigt la profonde
mixité culturelle des chrétiens au-delà de l’Euphrate : réalisé en collaboration
avec Christelle Jullien et moi-même, il s’agissait de repérer et d’identifier les
noms propres d’origine iranienne dans toute la littérature syriaque à notre
disposition – nombre de textes n’étant pas encore traduits –, Philippe Gignoux
travaillant aux interprétations étymologiques moyen-perses des quelque mille
anthroponymes traités Gignoux, Ph., Jullien, C., Jullien, F., Noms propres syriaques d’origine iranienne, (Iranisches Personennamenbuch Band VII: Iranische Namen in Semitischen Nebenüberlieferungen.
Fasz. 5), Vienne : Verlag der Österreichischen Akademie der Wissenschaften,
2009.. Ses réflexions sur le multilinguisme des chrétiens
syro-orientaux
Gignoux, Ph., « Réflexions sur l’hagiographie et le multilinguisme des
chrétiens syro-orientaux », dans F. Jullien, M.-J. Pierre (éds.), Les Monachismes d’Orient, p. 123-132 ; « Symposium
“Bilingualism in Iranian Cultures” », Studia Iranica
22, 1993, p. 123-124. ou sur les relations interlinguistiques de
termes de la pharmacopée Citons par
exemple : Gignoux, Ph., Lexique français de la pharmacopée
syriaque
, (
Semitica et Classica.
Miscellanées 1), Paris, 2020 ; Lexique des termes
de la pharmacopée syriaque
, (
Studia
iranica. Cahier 47. Chrétiens en terre
d’Iran V), Paris, 2022. « Les relations interlinguistiques de
quelques termes de la pharmacopée antique », dans D. Durkin-Meisterernst, C.
Reck, D. Weber (éds.), Literarische Stoffe und ihre
Gestaltung in mitteliranische Zeit, Kolloquium
anlässlich des 70. Geburtstages von Werner Sundermann
,
(
Beiträge zur Iranistik 31), Wiesbaden,
2009, p. 91-98. « Les relations interlinguistiques de quelques termes de la
pharmacopée antique. II », dans W. Sundermann, A. Hintze, F. de Blois
(éds.), Exegisti monumenta. Festschrift in Honour of
Nicholas Sims-Williams
, (
Iranica
17), Wiesbaden : Harrassowitz, 2009, p. 117-126. – une thématique
qui rejoignait sa passion pour l’horticulture et les jardins de simples ! –
témoignent aussi de son souci de “révéler” au sens photographique la coloration du
christianisme oriental dans la richesse de ses interactions culturelles. Cette
perception transculturelle l’a conduit à mettre en évidence la fécondité d’une
analyse comparative – une approche que Nina Garsoïan devait de son côté développer
avec tant de profit pour les études arméniennes en contexte iranien. S. Brock avait
relevé la complémentarité à double sens de ces deux champs de compétence, mais aussi
la rareté des savants pouvant maîtriser les documentations : « (…) most Syriac
scholars have little or no knowledge of any Middle Iranian languages, and
specialists in Middle Persian only very rarely have a good working knowledge of
Syriac – a situation which simply highlights the exceptional character and value of
Philippe Gignoux’s contributions to scholarship, for here is someone who is truly
expert in both fields » Brock, S., « The contributions of Philippe Gignoux to
Syriac Studies », dans R. Gyselen, C. Jullien (éds.), Florilège, p. 98.. On ne peut plus appréhender
aujourd’hui les textes syriaques sur l’histoire des chrétiens de Perse sans cette
indispensable remise en contexte porteuse de sens : en cela, Philippe Gignoux fut un
pionnier.
Si son œuvre fut considérable dans le domaine de l’épigraphie, de la
sigillographie ou de la littérature moyen-perses, avec notamment des études
originales « fondamentales sur l’eschatologie, l’apocalyptique et le chamanisme en
Iran »
Panaino, A., « Apocalittica, escatologia e sciamanismo nell’opera
iranologica di Ph. Gignoux, con una nota sulla “visione” del mago Kirdēr »,
dans R. Gyselen, C. Jullien (éds.), Florilège, p.
205-243., il faut souligner combien ces recherches en iranologie
proprement dite interfèrent souvent directement sur le champ du christianisme
syriaque. Mentionnons ses lectures d’inscriptions en moyen-perse sur des objets
d’appartenance chrétienne : croix en pierre du mont Saint-Thomas au Kérala par
exemple
Gignoux, Ph., « Une croix de procession de Hérat inscrite en pehlevi », Le Muséon 114/3-4, 2001, p. 291-304.,
croix processionnelle de Hérat Gignoux, Ph., « The Pahlavi Inscription on Mount
Thomas Cross (South India) », dans Z. Zevit, S. Gitin, M. Sokoloff (éds.),
Solving Riddles and Untying Knots, Biblical,
Epigraphic, and Semitic Studies in Honor of Jonas C. Greenfield,
Winona Lake, 1995, p. 411-422. datée de 740/750 qui appartint à
la communauté melkite locale Jullien, C., « Chrétiens d’Iran entre hagiographie et
histoire. Avec une nouvelle proposition sur la croix de Hérat », dans R.
Gyselen, C. Jullien (éds), Florilège, p. 175-192.. Et parmi son extraordinaire
tribut sphragistique (c’est-à-dire l’étude des sceaux, des camées et des bulles),
mené avec l’étroit concours de sa disciple et amie Rika Gyselen, rappelons l’étude
de sceaux chrétiens rédigés en syriaque ou en moyen-perse, parfois bilingues, qui
illustrent avec éloquence le fort ancrage de la communauté chrétienne en milieu
iranien Une
trentaine d’articles et trois volumes de Catalogues
en 1978, 1982 et 1987. Par ex. Gignoux, Ph., « Sceaux chrétiens d’époque
sasanide », Iranica Antiqua, XV, 1980, p. 299-314 ;
Gignoux, Ph., Gyselen, R., Sceaux sasanides de diverses
collections privées, (Studia Iranica. Cahier
1), Leuven, 1982.. Citons encore sa monographie (et les articles
afférents) sur les inscriptions du mage Kirdīr en 1991, un document particulièrement
important pour appréhender la question des politiques religieuses à l’égard des
minorités
Gignoux, Ph., Les inscriptions de Kirdīr et sa vision de
l’au-delà, (Conferenze IsMEO 2), Roma :
Istituto Italiano per il Medio ed Estremo Oriente, 1990 ; « L’inscription de
Kirdīr à Naqš-i Rustam », Studia Iranica 1, 1972,
p. 177-202 ; « Étude des variantes textuelles des inscriptions de Kirdīr,
Genèse et datation », Le Muséon 86, 1973, p. 193-216.
« La liste des provinces de l’Ērān dans les inscriptions de Šābuhr et de
Kirdīr », Acta Antiqua Academiae Scientiarum
Hungaricae XIX, 1971, p. 83-94.. Il s’intéressa
parallèlement aux pratiques magiques en milieu moyen-perse mais aussi syriaque à
travers l’étude d’inscriptions de bols incantatoires ou de textes rédigés sur peau,
proposant par ailleurs des pistes chronologiques qui jusqu’alors faisaient
défaut
Gignoux, Ph., « A New Incantation Bowl Inscribed in Syriac (National Museum
of Oriental Art, Roma) », East and West NS 34, 1984,
p. 47-53 ; Incantations magiques syriaques, (Collection de la Revue des Études Juives), Louvain,
1987.. Mais sa contribution à une meilleure compréhension de
l’histoire culturelle de l’Iran sassanide ne fut pas seulement remarquable par ses
contenus de haute scientificité ; elle le fut également par ses approches
méthodologiques, comme en témoignent ses essais de classification, distinction et
priorisation des sources, ses réflexions sur les problèmes d’interprétations
historiques et philologiques des lectures d’objets archéologiques Par exemple : « Problèmes
d’interprétation des bulles sassanides », Studia
Iranica 2, 1973, p. 137-142. « Problèmes d’interprétation
historique et philologique de titres et noms propres sasanides », Acta Antiqua Academiae Scientiarum Hungaricae XXIV,
Budapest, 1976, p. 103-108. « Problèmes de distinction et de priorité des
sources », dans J. Harmatta (éd.), Prolegomena to the
Sources on the History of Pre-Islamic Central Asia, Budapest, 1979,
p. 137-141. , son évaluation de l’historicité de corpus de
sources (syriaques, arméniennes, etc.) Gignoux, Ph., « Pour une évaluation de la contribution
des sources arméniennes à l’histoire sassanide », dans J. Harmatta (éd.),
From Alexander the Great to Kül Tegin. Studies in
Bactrian, Pahlavi, Sanskrit, Arabic, Aramaic, Armenian, Chinese, Türk,
Greek and Latin Sources for the History of Pre-Islamic Central
Asia, Budapest, 1990, p. 63-75., ou encore ses pistes de
recherche pour une nouvelle histoire des idées de l’Iran sassanide Gignoux, Ph., « Pour
une nouvelle histoire de l’Iran sasanide », dans W. Skalmowski, A. Van
Tongerloo (éds.), Middle Iranian Studies, Proceedings of the International Symposium organized by
the Katholieke Universiteit Leuven from the 17th to the 20th of May
1982, (Orientalia Lovaniensia Analecta 16),
Louvain, 1984, p. 253-262. « Prolégomènes pour une histoire des idées de
l’Iran sassanide : convergences et divergences », dans J. Wiesehöfer, Ph.
Huyse (éds.), Erān ud Anērān. Studien zu den Beziehungen
zwischen dem Sasanidenreich und der Mittelmeerwelt, Stuttgart :
Franz Steiner Verlag, 2006, p. 71-81..
Ces dernières années, Christelle et moi collaborions avec lui à la
préparation d’un ouvrage commun : l’édition critique traduite et commentée du Martyre de Giwargis Mihr-Mah-Gushnasp rédigé par Babaï le
Grand, pour lequel il s’était véritablement enthousiasmé. Occasion d’apprécier plus
encore son érudition, ses multiples compétences et la formidable richesse d’une
lecture croisée des textes. Ses collègues et amis garderont au cœur ses qualités
humaines, sa simplicité bienveillante. Philippe Gignoux s’est éteint le 24 septembre
dernier à l’âge de 92 ans dans son cher Poitou où il aimait tant cultiver son
potager entre deux séances de travail. Il restera pour la postérité l’une des
figures marquantes des études irano-syriaques sur plus d’un demi-siècle. Qu’il
repose en paix au Paradis des “lumières infinies”.